Entre le marché et la plage, une petite bagarre pour passer le temps
Constat - A chaque ramadan, le constat est toujours le même : les comportements et les habitudes changent radicalement : les Algériens circulent la nuit pour dormir le jour.
En ce mois de jeûne coïncidant avec la montée en puissance du mercure, à Alger, les rues sont calmes, presque désertes, les premières heures de la matinée avant de s'animer en tout début d'après-midi pour entrer en effervescence à quelques heures de la rupture du jeûne. Une activité, allant crescendo, expliquée par le fait que beaucoup de fonctionnaires et de travailleurs ont décidé de prendre leur congé pendant ce mois. Il est 11h 25 quand nous entamons la rue Larbi-Ben M’hidi. Hormis les allers et retours des clients d’Algérie Poste qui affluent en grand nombre aux guichets de la Grande-Poste pour des retraits d’argent, rien n’indique que cette capitale est l’une des villes les plus peuplées d’Algérie. Plus de la moitié des commerces sont fermés. Difficile même de s’acheter un journal. «Pour le faire, il a fallu que je me déplace jusqu’au boulevard Amirouche», nous dit Ami Saïd. La circulation est réduite à sa plus simple expression. Elle était même assez fluide durant les premières heures de la matinée, n’étaient les véhicules «officiels» qui sillonnent les artères. Quelques automobilistes roulaient tranquillement sur les principales routes d'Alger. C’est le même constat à la rue Hassiba-Ben Bouali. «Cinq minutes auraient suffi pour vous rejoindre», a témoigné notre chauffeur qui, au passage, a fait remarquer qu’au parking de l’Agha, «l’on ne se bouscule pas comme à l’accoutumée». Idem à La Casbah et Bab El Oued. Les rares automobilistes rencontrés semblent plus disciplinés et moins nerveux que d'habitude. Les passages sont cédés sans agressivité ni animosité. Les conducteurs ne se bousculent pas encore sur les routes. A Hammamet et Aïn Benian, les agents de l’ordre public n’ont pas besoin de faire usage de leur sifflet toutes les trois ou quatre secondes. Car Alger ne s’est pas encore réveillée.
Les nerfs sous le bonnet
Tension - Dès que le mois de jeûne est entamé, une ambiance électrique caractérise le quotidien des
Algériens. Pour un oui ou pour un non, c’est l’irréparable qui se produit parfois.
Difficile d’avancer un quelconque chiffre du nombre d’altercations, de rixes ou d’agressions, mais ce qui est, en revanche, sûr, c’est que les Algériens ont les nerfs sous le bonnet. Des scènes regrettables de violence en tout genre sont enregistrées dans quasiment toutes les villes algériennes. Aucune frange n’est épargnée. Même les «vieux» et les femmes sont de la partie. Un regard de travers, et c’est l’étincelle qui met le feu aux poudres, c’est la pagaille générale. Toutes les conditions sont réunies pour que ce soit ainsi. Là où il y a du monde, il faut s’attendre au pire à chaque moment particulièrement en fin de journée. Si les marchés sont devenus tristement célèbres pour avoir enregistré le plus de bagarres, les stations urbaines de transport de voyageurs sont toutes des poudrières. L’exemple le plus frappant, nous l’avons vécu ce mercredi caniculaire à la gare routière de Koléa, à l’Ouest d’Alger. Il est 13h 35. Le quai Koléa-Tafourah, grouille de monde. De bus aussi. Aucune crainte, il y a assez de bus pour transporter tout ce beau monde. Il faudrait juste un peu de patience. Un mot qui n’existe cependant pas dans le vocabulaire des Algériens. Sous un soleil de plomb, l’odeur du gasoil se dégageant des moteurs de bus pour ne pas dire des tacots ne fait qu’accentuer le mal. «Incroyable, en été comme en hiver, vous ne perfectionnez que la bousculade. Faites montre de civisme et attendez que le bus stationne pour monter», a lancé un receveur à l’adresse des passagers qui transpiraient déjà. Habitués assurément à ce genre de langage, les passagers n’ont pas pipé mot. Seul Malek. Accompagné de son épouse, cet avocat «s’est senti humilié». Pas question de faire semblant de ne rien avoir entendu. Son cartable déposé à même le sol, ce qui n’était au début qu’un échange de mots indécents, se transforme très rapidement en une rixe généralisée. Les autres receveurs viennent au secours de leur collègue, les passagers, eux, se sont montrés solidaires avec l’avocat. La station se transforme ainsi, en l’espace d’une heure de temps, en un véritable champ de bataille. «Si ce n’était pas le mois de jeûne, les choses auraient été réglées sans qu’on intervienne», a souligné un officier de police dont les éléments ont pu remettre de l’ordre dans les lieux. Le même état d’esprit est constaté sur les routes. Dans les giratoires, tout le monde «est prioritaire». Au stationnement, pareil. Sur la chaussée, tout le mode «a raison».
Une petite trempette ne fait pas de mal
Virée - Notre balade continue. Un petit tour sur les plages algéroises s’impose.
Et comme il fallait s’y attendre, il y avait des baigneurs. Ils fuient leurs logis
transformés en étuve durant ces longues journées de jeûne. Que ce soit à El-Djamila, Palm Beach, Sidi Fredj, Zeralda ou Colonel Abbas, le constat est le même.
Avec des températures qui avoisinent parfois les 35°C, les plages de ce côté ouest de la capitale sont prises d’assaut. Décidés à échapper à ces journées caniculaires qui, avec les feux de forêt
enregistrés ces derniers jours, rendent l’air irrespirable, des dizaines de citoyens en quête de fraîcheur succombent volontiers à l’appel de la Grande Bleue.
Munies de parasols et autres équipements de plage, toutes ces personnes cherchent avant tout à se mettre à l’abri des fortes chaleurs en s’installant à proximité des rochers où l’air est plus
doux. Pour Abdelhamid S. rencontré à la plage du port d’El-Djamila, «même si la mer creuse l’appétit et attise la soif, je préfère faire trempette et humer l’air marin plutôt que de rester à la
maison devant la télévision. En outre, je me réjouis d’accompagner mes petits-fils qui sont en vacances chez moi et ainsi laisser leur maman préparer le f’tour loin d’une quelconque pression».
Dans l’eau de mer, il n’y a que les têtes qui apparaissent, comme si ces gens immobiles, souvent coiffés de chapeaux de paille ou de casquettes pour se protéger du soleil ardent, étaient plantés
là, depuis des heures, se laissant ainsi emporter par la fraîcheur de la grande bleue.
Durant ces longues journées de jeûne ponctuées de canicule, les baigneurs veulent profiter au maximum des bienfaits de la mer, loin des interminables parties de beach-soccer ou de beach-volley
auxquelles ils aiment tant s’adonner, des heures durant, en dehors du mois de jeûne. En groupe sous les parasols, ou à l’ombre d’un rocher, l’on parle de tout et de rien. La mer n’interpelle pas
uniquement les jeunes. «Il faudrait y venir quelque temps après la rupture du jeûne», a assuré un agent de la Protection civile qui, comme tous ses collègues, guette le moindre mouvement suspect
en mer. Ce dernier n’a pas manqué d’évoquer «les risques encourus en venant se baigner la nuit». Il a, dans ce contexte, recommandé un peu plus de vigilance dès la nuit tombée.
Les cybercafés pour…tuer le temps
Activité - En ces journées ramadanesques, les quelques cybercafés existant dans le chef-lieu de la
wilaya de Tipaza, ne chôment pas.
La montre indique 14h 35 quand nous empruntons la rue principale de la ville de Tipaza. Là aussi, la circulation est fluide contrairement aux autres périodes de l’année. Le site archéologique de la ville est ouvert au public, «mais n’attire pas beaucoup de monde durant le mois de carême», nous dit-on sur place car les gens «préfèrent se mettre à l’abri du soleil et dans un endroit climatisé», a-t-on encore expliqué quand nous sommes attirés par une longue chaîne non loin du musée de la ville de Tipaza. Et ce n’était guère devant un marché ou un magasin, mais devant un cybercafé. «Les cybercafés font le plein à Tipaza. C’est pareil dans tous les cybercafés implantés à travers les différents quartiers de la ville», a déclaré le gérant. «Je suis un abonné. Et j’y viens presque quotidiennement car chez moi la connexion Internet est inexistante et en plus, je viens ici parce qu’il fait plus frais», dit Zakaria, qui n’a pas encore bouclé les vingt ans. «Le cybercafé est un lieu de détente, surtout en ce ramadan. Personnellement, je viens juste me divertir en naviguant sur différents sites de jeux ou ouvrir mon facebook pour me connecter avec des amis», a confié, de son côté, Fayçal, étudiant en médecine. Pour lui, l’Internet est un moyen très efficace pour établir ses recherches dans le domaine médicale. «Je dirai qu’Internet est l’une des activités qui a connu un succès considérable ces derniers temps. Je consulte cet outil trois heures par jour pendant le ramadan, pour enrichir et actualiser mes connaissances. Cela me permet d’être informé des dernières découvertes.» Retranchée dans son coin, Souhila, 20 ans, affirme être tout le temps «connectée». «Pour moi l’Internet est tout simplement synonyme d’évasion. Cela me revient moins cher que les communications téléphoniques et me permet d’être en contact permanent avec mon fiancé en France», a-t-elle révélé reconnaissant du coup que sa mère ne tolère pas trop les sorties en cette période de vacances. «Donc le cybercafé du quartier est le seul endroit où je suis autorisée à me rendre.»
Cher est le mois de jeûne
Selon une petite équation, un smicard algérien dépenserait une moyenne de 2 000 DA/ jour en ce mois de
ramadan. Le matin, c’est la bousculade dans les marchés de fruits et légume. Celui des Trois-Horloges, situé à Bab El Oued, ne déroge pas à la règle. Les bouchers et les boulangers sont trop
sollicités en ce mois de sacré. Les Algérois dépensent beaucoup durant cette période. Même trop. Le lendemain, c’est pratiquement la même image décevante qui revient. Les bacs à ordures de tous
les quartiers d’Alger débordent de détritus s’avérant trop exigus pour contenir toutes les denrées dont se débarrasse la ménagère pour faire de la place dans son réfrigérateur. Ils débordent non
pas parce que les agents de Netcom sont en grève, mais tout simplement parce que les déchets ménagers ont triplé en cette période.
Le mois de carême est paradoxalement celui où le gaspillage atteint le summum. Les emplettes de la matinée et les restes de la table bien garnie du ftour finissent souvent dans les sacs-poubelle
que l’on jette parfois du haut des balcons sans même prendre la peine de descendre les escaliers et les déposer au point de ramassage. A l’appel du muezzin, annonçant la rupture du jeûne,
nombreux sont les Algériens qui se contentent juste de quelques cuillères de chorba, un petit morceau de pain quand ce n’est pas d’abord une cigarette ou un café-presse avant même la chorba. Au
bout d’une quinzaine de minutes, la table se vide.
Les membres de la famille la quittent les uns après les autres. La maman, elle, est confrontée à cette épineuse question : Que faire des restes de nourriture ? La réponse est souvent claire. Un
sac-poubelle et l’affaire est réglée. Du gaspillage. Un vrai gâchis qui aurait pu être évité si la raison l'emportait sur le ventre. En ce mois de ramadan, ce scénario est au rendez-vous dans la
plupart des foyers algériens. Des sommes importantes sont ainsi jetées par les fenêtres par certains ménages en ce mois de piété. Censé être un mois d’abstinence et de frugalité, le ramadan est finalement un mois de gaspillage.
Source Infosoir Farid Houali
Le Pèlerin